Chapitre 2
Révélations
-
Ce serait trop vous demander de m'expliquer ?
-
Chérie, c'est un peu délicat...
-
Maman, s'il te plaît !
-
Très bien... Ton père, comme tu le sais sûrement n'a pas disparu sans raison...
-
Oui évidemment...
-
Bien. A partir du moment où tu as commencé a me poser des questions à son propos, j'ai tout de suite su qu'un jour il faudrait que je te le dise. J'ai tenté de retarder l'échéance car je savais que lorsque tu sauras tout, ta vie sera différente et tu seras préoccupée par tellement de choses... Tu comprends je voulais te protéger... Juste avant de me marier avec ton père, il m'a fait une révélation. « Une révélation qui pourrait tout changer, une révélation à cause de laquelle tu pourrais me quitter, me claquer la porte au nez, me prendre pour un fou... Je ne t'en voudrais pas, je te comprendrais et ne te retiendrais pas mais je t'en supplie au moins écoute-moi. » m'avait-il dit. Il s'agit en effet de quelque chose de très gros. Quelque chose que l'on n'oublie pas. Ton père... ne vient pas de ce monde.
-
Pardon ?!
-
Je pense que Tony serait mieux placé pour t'expliquer.
Lylia se retourna vers Tony. Ce dernier leva les mains en signe d'innocence mais le regard de Lylia suffit à lui faire prendre la parole.
-
Oui bon très bien je vais t'expliquer.
Il lança un regard de reproche à Monny et continua :
-
Je viens de Tassifa. Un monde. Un autre monde. La première forme de vie y est apparue bien avant chez vous. Nous sommes en 5285 chez nous. Par commodité, nous nous sommes calqué sur votre calendrier, les années sont constituées de 12 mois, les mois de 4 semaines, les semaines de 7 jours etc... Seulement nous n'avons pas la même... disons la même durée de vie que vous ...
-
Et ça veut dire quoi ça ?
-
J'ai 160 ans.
-
Pardon ?! S'exclama Lylia pour la deuxième fois.
-
Eh bien... Nous vivons 10 fois plus longtemps que vous.
-
Et... quel est le rapport avec mon père ? Demanda-t-elle décontenancée.
-
J'y viens. Notre monde n'est cependant pas aussi vaste que le vôtre. Par conséquent, le nombre d'habitants y est largement réduit aussi. Disons que... notre monde est l'équivalent de l'Europe et de l'Asie mais pas plus gros. Il est réuni en un seul continent. Certains l'appelle « Le Tassifa de Richi ».
-
Euh... Est-ce que cela a un quelconque rapport avec ton nom ?
-
Oui exactement.
-
Tu es... le souverain de ton monde ?
-
Mon père, oui.
-
Quel âge a-t'il ...?
-
47 ans chez vous... 470 ans chez nous.
-
Oh ! Et ... mon père, dans tout ça ?
-
Il faut que tu comprennes que si ton père est parti, c'est qu'il n'avait pas le choix. A notre connaissance, il n'y a que deux mondes sur cette galaxie. Or nous étions le seul qui connaissait l'existence de l'autre. Mais le secret devait être bien gardé car une fois au courant, vous vous seriez emparé de notre Monde, étant supérieur en nombre. Quelqu'un devait donc gérer les « touristes » qui venait visiter votre monde, il nous fallait un défenseur du secret. Ton père. Tout le monde a le droit à au moins un voyage dans votre monde, que nous appelons le Monde du Secret. Et lors de son premier voyage, ton père a rencontré ta mère. Lorsque tu es le gardien du secret tu dois évidemment faire des voyages fréquents dans le Monde du Secret. Or peu de gens étaient près à abandonner leur vie de famille. Mais ton père n'avait pas de famille à Tassifa, il n'avait que ta mère. Lorsque ton père est parti et qu'il a rencontré Monny, à son retour il ne pensait plus qu'à elle. Il a rendu visite à mon père avec lequel il était très ami et deux heures plus tard il était le nouveau gardien du secret. Mais il y avait un problème. Le gardien du secret ne pouvait rester plus de 10 ans sur l'Autre Rive, l'autre monde.
-
Comment se fait-il ?
-
Nous avons cherché en vain à l'expliquer. Mais les faits sont là. Par deux fois des gardiens du secret ont disparu de la surface de la Terre, que ce soit sur les Anciennes ou les Nouvelles Terres. Nous ne savons pas où. Mais nous savons qu'ayant dépassé le délai de 10 ans sur l'Autre Rive, un habitant de notre monde court un risque. Ton père a donc été contraint de partir. Mais lorsqu'il est revenu, il était dans un état pitoyable. Il ne parlait plus à personne, il restait enfermé jour et nuit dans sa maison. Nous savions que sa vie ne tenait qu'à un fil. Nous savions qu'il continuait de vivre dans l'espoir de vous revoir un jour. Il n'est pas souffrance plus grande que celle-là : il a quitté son enfant alors qu'il commençait seulement à vivre. Il a quitté sa femme au bout de 10 ans de bonheur. Il ne pouvait le supporter. Mon père qui n'avait pas oublié les années de sincère amitié avec le tien voulut faire quelque chose. Il alla lui rendre visite et il lui proposa quelque chose. Il faut que tu saches que nous sommes scientifiquement très avancés par rapport à vous. Ou plutôt la moitié de notre grand continent l'est. L'autre en est encore à l'âge de pierre.
Sous le regard ahurit de Lylia il expliqua :
-
Notre Monde est séparé en deux parties. La partie moderne et la partie ancienne.
-
C'est étrange... !
-
Donc nous avons, entre autre, des moyens pour « espionner » les gens discrètement.
-
C'est ça ! J'avais toujours senti la présence de quelqu'un – quelque chose apparemment – et cela m'avait inquiétée ... !
-
Oui. C'est un système automatisé qui à la forme, la taille d'un homme, mais qui n'a pas sa conscience, ni son intelligence. Un homme dépourvue d'âme et totalement invisible. A travers ses « yeux », ton père pouvait vous voir, toi et ta mère. Evidemment, Monny a été prévenue. Mais très vite, cela n'a plus suffit. A force de vous voir, Frédéric voulez vous parler, vous toucher, il voulait que tu sentes sa présence. Mais c'était impossible. Il voulut alors tenter l'expérience de retourner sur l'Autre Rive. Cela faisait quatre ans qu'il n'y était pas retourner, et d'après lui, cela suffisait pour annuler le phénomène. Mais mon père a refusé. Il ne voulait pas que Frédéric court un pareil risque. Il essaya de le dissuader en lui disant que s'il disparaissait entre deux mondes, il n'allait pas pour autant vous retrouver... Que cela n'arrangerait rien. Mais un soir, ton père s'est énervé et la détresse qu'il avait accumulé ses quatre dernières années explosèrent, il était devenu à moitié fou de chagrin. Il hurlait qu'il ne vous reverrait jamais et qu'il préférait mourir plutôt que de se rendre compte que cela était définitivement vrai. Sa plus grande peur était que Monny se fiancent avec un autre homme et que tu oublies que tu avais un vrai père. Mais en même temps il ne supportait pas de voir sa femme souffrir à ce point et voulait qu'elle se reconstruise. Il était arraché. Sa souffrance faisait tellement mal à voir que nous... nous l'avons laissé faire. Mais malheureusement, le lendemain de son départ nous avons appris sans grande surprise qu'il n'était jamais arrivé. Mon père était accablé de chagrin et de culpabilité.
Il avait dit ces dernière phrases comme pour se justifier. Il s'en voulait terriblement, lui aussi. Lylia, elle, n'arrivait pas à assimiler tout ce qu'elle venait d'entendre. Elle regarda sa mère qui, elle aussi, avait les larmes aux yeux. Puis son regard glissa vers Tony qui regardait son compagnon d'un air implorant : ni l'un ni l'autre ne savait comment réagir. Pour Lylia c'était comme perdre son père une deuxième fois. Bien sûr jusque là elle savait qu'elle n'allait sûrement jamais le revoir mais... il avait disparu, il n'était pas mort. Elle avait toujours gardé un espoir de le revoir. Mais là... il était mort elle en était presque persuadée. Elle se rendit soudain compte qu'elle pleurait. Elle releva brusquement la tête. Quelque chose lui était venu à l'esprit.
-
Pourquoi êtes-vous là s'il n'y a plus d'espoir ?
-
Justement parce qu'il y a encore espoir, répondit Bastien qui jusque là s'était tu. Guillaume II, le père de Tony, et le Roi nous a envoyé à votre rencontre. Quitte à trahir le secret il voulait vous informer. Il y a peut-être un moyen de retrouver Frédéric. Mais... cela risque d'être dangereux... Il faudrait... il faudrait que nous allions à sa rencontre... Toi, Tony et moi.
-
Et moi ? Demanda Monny.
-
Eh bien... Vous ne pouvez pas venir... Aucun adulte ne peut venir, ce serait vraiment, vraiment trop dangereux.
-
Et pourquoi ça ?
-
Au terme de nombreuses recherches, il semblerait que chaque être ait un poids d'âge... Lorsque nous atteignons notre majorité, il est peu prudent de se balader entre les deux mondes... Rien n'a été prouvé avec certitude mais nous souhaitons mettre toutes les chances de notre côté. Au cours de cette mission, je serais votre chef étant le plus âgé.
Tony leva les yeux au ciel. Il n'avait pas l'air d'affectionner particulièrement Bastien, mais il y avait nécessité.
-
Avant de démarrer la mission, reprit-il, nous irons tous les quatre à Tassifa pour des raisons évidentes : vivres, armes, outils... Et nous nous entretiendrons avec Monsieur Richi.
Lylia regarda Tony et ne pu s'empêcher de rire. Elle savait qu'ils pensaient la même chose et ce lien moqueur qui les unirent à ce moment lui fit du bien. Il lui permit de lâcher la tension qui s'accumulait en elle depuis le début de ces lourdes révélations.
-
Inutile de te moquer et je te rappelle que je fais tout ça pour toi. Si tu crois que ça m'amuse d'aller risquer ma vie ! Et pour quelqu'un que je ne connais pas en plus ! Alors épargne-moi tes sarcasmes !
Ce dur rappelle à la réalité lui enleva rapidement son sourire.
-
Risquer votre vie ? demanda Monny soudain alarmée.
-
Eh bien... oui évidemment. Il est clair qu'une mission pareille est dangereuse... Je pensais que c'était clair...
-
Je... je n'y avais pas réfléchit non. Mais il est hors de question que ma fille parte si elle risque quoi que ce soit. J'ai perdu mon mari, je ne voudrais pas perdre ma fille en plus !
-
Maman !
-
Oui... Oui bien entendu je comprend mais ... Voyez- vous nous n'avons pas le choix... A moins que vous préfèreriez que nous abandonnions... Auquel cas il suffit de le dire mais...
-
Il y a sûrement un autre moyen ! Je ne sais pas moi vous ne pouvez pas ... vous n'avez pas des gens qui pourraient s'en charger ? ... demanda Monny d'un ton desespéré.
-
Pensez bien que vous n'êtes pas la seule mère au monde, Monny. Dans l'un comme dans l'autre, répondit Bastien, sur un ton de reproche.
-
Oui... Oui bien sûr je suis désolée c'était très égoïste de ma part ... Mais je... Nous verrons ça avec Guillaume, j'imagine...
-
Quand partons-nous ? Demanda Lylia.
-
Eh bien, le plus tôt possible. Le temps de prévenir le collège et tout est près. Vous n'avez pas des membres de votre famille qu'il faudrait prévenir ? Trouvons une excuse...
-
Non nous n'avons personne.
-
Bien. Alors nous partons dans... disons 2 heures. Cela suffira ?
-
Oui parfait j'appelle tout de suite le directeur. Lylia, va préparer tes affaires.
-
Je viens avec toi, dit Tony.
Ils montèrent dans la chambre de Lylia.
-
C'est excitant, non ? Lui demanda-t'il.
-
Tu veux dire de partir comme ça ? A l'aventure ?
-
Oui ! Je trouve ça génial ! En plus on sera tous les deux... C'est sympa non ?
-
Je ne sais pas si tu te rends compte. Je suis rentrée chez moi, je m'apprêtai à vivre la routine qui est mienne depuis 14 ans et en à peine une demi-heure j'apprends que mon père est une sorte d'extra-terrestre sorti de nulle part et que je quitte le collège et tous mes amis pour aller le chercher dans une espèce de vide inter-galactique. J'ai juste l'impression de rêver donc « sympa » n'est pas précisément le terme qui me viendrait tout de suite à l'esprit sans vouloir te dégriser. Et le pire c'est que tu ne peux même pas comprendre ce que tout ça représente pour moi. Mon père est mort Tony, et je m'apprête à lui courir après comme si je pouvais le sortir de la tombe. Sans oublier que si ma mère n'appuyait pas vos dires, j'aurais été largement tentée de vous traiter de fous. Un autre monde, je pense que c'est la chose la plus absurde que l'on ne m'ait jamais dite. Cela ne colle pas avec l'esprit rationnel que l'on prône fièrement depuis des siècles. La Terre est ronde Tony, elle tourne autour du Soleil, elle appartient à la Voie Lactée qui n'est qu'une galaxie parmi tant d'autres. Avec toutes ses connaissances accumulées durant les deux siècles derniers comment se fait-il que personne n'est rien senti, rien découvert ?! Mais où diable se trouve cet « autre monde » auquel vous semblez tant croire ?
-
Écoute Lylia, ce que nous te demandons est difficile. Nous en sommes conscients. Mon but en arrivant ici était de te préparer, c'était de te faire assimiler plus facilement les révélations immenses que nous étions sur le point de te faire. Seulement Bastien est arrivé plus tôt, parce que mon père veut nous voir partir au plus vite. La machine qui nous lâchera entre les deux mondes est prête et nous ne pouvons nous permettre de la laisser au repos pendant un mois. Or une fois à Tassifa il nous faudra une bonne semaine de préparation. Ne me demande pas comment cette machine marche, ni comment nous repartirons de cet endroit, s'il existe. Tout n'est plus qu'une question de chance Lylia, même si nous tâchons par tous les moyens de la provoquer, elle est notre seule alliée, la plus incertaine mais la seule. Bien que nous ayons quelques hypothèses, non confirmées mais très probablement exactes sur la manière dont les choses vont se passer. Mais maintenant il faut arrêter d'y penser Lylia, arrêter de te poser des questions, et foncer. Parce que mon père n'aurait jamais tenter quelque chose de si dangereux s'il ne pensait pas que nous avions la chance de notre côté. C'est dur, mais il faut que tu t'y fasses.
-
Pourquoi ... Pourquoi ton père se donne-t-il tant de mal pour nous ? Pourquoi êtes-vous prêts, toi et Bastien à risquer votre vie pour sauver celle de mon père ?
-
Tu sais, la mentalité à Tassifa est différente de la vôtre. Elle est moins égoïste. Le sens de l'honneur est très fort, et celui de la reconnaissance encore plus. Je crois que ton père fut, durant leur enfance, très bénéfique pour le mien. C'est maintenant à nous de l'être pour vous.
-
Qui est Bastien ? Tu n'as pas l'air de l'affectionner plus que ça.
-
Non ce n'est pas ça, c'est juste que nos rapports ont toujours été particuliers. C'est un garçon qui souffre beaucoup.
-
On souffre tous, dit-elle durement en tirant un grand sac de son armoire.
Pendant que Lylia faisait sa valise, elle entendit des bribes de la conversation entre sa mère et le directeur... Et elle se demanda si elle reverrait un jour Maysan... et Mark... Elle trouvait tellement injuste le fait de partir sans même leur dire au revoir, eux qui avait toujours été là pour elle, et qu'elle avait remplacé par un inconnu en si peu de temps... Elle prit alors le téléphone mais la même main puissante qui l'avait rattrapée quelques heures plus tôt l'arrêta dans son geste.
-
Désolé mais tu ne peux pas les prévenir...
-
Comment savais-tu que... ?
-
Tu ne peux pas désolé... reprit-il, ignorant la question.
-
Je ne peux pas partir comme ça !
-
Il le faut pourtant !
-
Mais je peux inventer une excuse ! Leur dire au revoir une dernière fois ! Imagine que je ne revienne pas !
-
Tu n'avais pas l'air d'affectionner Mark tant que ça... Dit-il en lui rendant le combiné. Trouve une excuse valable.
-
Ok... Et... Je leur dis quoi ?
-
Dis-leur que... Ta grand-mère est gravement malade, qu'elle habite en Australie et que tu vas devoir lui rendre visite ... Et qu'il se pourrait que tu y restes longtemps.
-
Cette excuse serait parfaitement valable si tu avais le pouvoir de ressusciter les morts.
-
Oh... Mince pardon je suis vraiment désolé je ne savais pas...
-
Pas de problème. Allons demander à maman ce qu'elle a dit au directeur ce serait plus judicieux tu ne crois pas ?
-
Elle lui a dit à peu près la vérité. Qu'il se pourrait qu'elle ait une piste concernant Frédéric, et qu'il fallait absolument qu'elle parte... Pas très malin, la police va commencer à s'en mêler ... grogna-t'il. Enfin... Dis la même chose à tes amis ce sera plus prudent.
Sous le regard éberlué de Lylia, il leva pour la deuxième fois de la soirée les mains en signe d'innocence. Beaucoup de choses pouvaient décidément lui être reprochées...
-
Maman ! Qu'est-ce que tu as dit au directeur ? Cria -t'elle pour que sa mère l'entende d'en bas.
Elle lui répondit exactement la même chose que ce qu'avait prévu Tony.
-
Tu n'aurais pas quelque chose à m'expliquer ?
-
Ecoute pas maintenant d'accord ? Chuchota-t'il.
-
Mais qu'est-ce que tu caches bon sang !
-
Chut ! S'il te plaît pas maintenant !
Elle lui envoya un regard peu aimable et appela Maysan, puis Mark. Malgré l'hostilité de Mark envers Tony, il fut vraiment heureux d'apprendre qu'ils aient des informations sur son père, tout autant que Maysan le fut. Lorsque les deux lui dirent « A bientôt alors ! » elle ressentit un pincement au coeur, mais continua de ranger ses affaires comme si de rien n'était. Elle ne voulait pas que Tony la surprenne. Mais elle fut très surprise de l'entendre dire :
-
Je sais ce que tu ressens ne t'inquiètes pas tout va bien se passer...
Elle se retourna, le regarda droit dans les yeux pendant une bonne minute, ouvrit la bouche pour répliquer à nouveau, puis se ravisa et recommença à faire son sac. Elle se demandait comment il arrivait à lire dans ses pensées. Elle détestait cette impression, comme si son intimité était violée. Il lui demanda alors où elle en était dans les préparatifs de ses bagages.
-
J'ai fini.
-
Bien, descendons alors.
Lorsqu'ils descendirent, Monny et Bastien étaient assis tous les deux sur le canapé et parlaient à voix basse. Mais quand ils virent Lylia et Tony arriver, ils se turent tous deux.
-
Ca y est, tu as fini tes valises ?
-
Oui, c'est bon.
-
Parfait. J'ai prévenu ton directeur, tout va bien et il a promit de ne rien dire à personne, dit-elle en regardant particulièrement Tony, qui baissa les yeux.
-
Et vous parliez de quoi, là ?
-
Oh... des formalités, pour le voyage ! Rien d'important tu sais... lui répondit sa mère, en lançant un regard appuyé à Bastien, cherchant visiblement du soutien qu'elle ne trouva pas.
-
Très bien, peu importe, je commence à avoir l'habitude d'être mise à l'écart, la coupa rapidement Lylia de plus en plus irritée par tous les secrets idiotement gardés par toutes les personnes en qui elle était censée faire confiance. Comment fait-on pour « voyager » entre les mondes...?
-
Bonne question, s'empressa de répondre Bastien, heureux de pouvoir changer de sujet. Étant donné que Tassifa est le premier monde qui ait découvert l'autre, et que les passages sont limités pour ne pas attirer l'attention, il faut pour passer d'une porte à une autre être accompagné d'un membre de la Garde Royale. Tony et moi-même en faisons parti. Cependant pour des « débutants » comme vous, le passage sera peut-être difficile...
-
Comment ça ?
-
Nous verrons tout cela sur place. Pour l'instant il faut aller à Lille. C'est la borne la plus proche.
-
Combien y a t'il de « bornes » ?
-
Une dizaine. Deux dans les Pyrénées, il s'y passe beaucoup de choses, une en Bretagne, une en Alsace, une à Lille, deux en Allemagne, deux en Italie et une en Espagne.
-
Seulement en Europe de l'Ouest ?
-
Oui, c'est le seul continent qui débouche sur notre monde civilisé. Les autres continents « appartiennent » au Vieux Tassifa, et ce sont de vraies brutes là-bas...
-
Pourquoi ne les civilisez-vous pas ?
-
Le jour où tu auras parler à un habitant du côté non civilisé de Tassifa, tu verras pourquoi on ne les approche pas... Alors va les civiliser, toi ! Un jour nous avons envoyé un informateur, un petit écran dans lequel on peut introduire des données. Une fois arrivé au destinataire, il lui délivre le message. Dans celui-ci nous avions tout expliqué de notre civilisation et y avions enregistré une proposition de développer des liens amicaux. Nous avions peu d'espoir pour que le chef nous renvoie un message mais nous avions tout de même expliquer comment nous répondre.
-
Et alors ça a donné quelque chose ?
-
Nous pensons qu'il a été dévoré avant même d'avoir atteint son destinataire...
-
Ah, en effet.
-
Je te l'avais dit... D'autres questions ?
-
Comment se fait-il qu'il y ait cette séparation si marquée dans votre monde ?
-
Au moment de notre création, il y a tout de suite eut cette séparation. Les musclés dépourvus d'intelligence allèrent à l'est, les autres à l'ouest. C'est aussi simple que cela. De temps en temps des anciens revenaient sur leur choix et nous rejoignaient. Puis les clans se sont conçus et les patries se sont stabilisées. Nous, les modernes, nous nous sommes tout de suite intéressé à la technologie et avons tenté avec succès de nombreuses expériences qui aboutirent toutes ou presque à d'intéressantes inventions.
-
À t'entendre on pourrait presque penser que tu es à l'origine de ses brillantes trouvailles ! Plaisanta Tony.
Bastien leva les yeux au ciel et sourit presque tendrement. Cette complicité étonna Lylia. Puis la ressemblance évidente entre les deux garçons la frappa.
-
Mais... Vous êtes frère ?
-
Tu es la première à avoir remarqué le lien de parenté, mais nous ne sommes pas frère... Ou presque pas... compléta-t-il en souriant.
-
Vous êtes quoi alors ? Demanda Lylia.
-
Cousin. Mais comme deux frères.
-
J'aimerais bien être aussi proche de mes cousins ... répondit Lylia, rêveuse.
Sa mère lui sourit. Mais elle était occupée par autre chose. Elle avait peur. Et elle ne voulait pas que sa fille parte. Lylia qui connaissait bien sa mère alla la voir.
-
Ne t'inquiètes pas maman, tout ira bien...
-
Oui... Je l'espère tellement...
-
Bon il est l'heure d'y aller ! Intervint Bastien. Vous avez une voiture ? Autant ne pas se faire remarquer par nos moyens de transport disons... quelque peu inhabituel.
Une fois dans la voiture, Lylia eut le temps de penser à tout ce qu'elle venait d'assimiler en quelques heures, et aux conséquences de ses engagements. Elle se demanda vaguement si elle avait pris les bonnes décisions mais de toutes façons elle n'avait pas le choix. Alors elle pensa à Mark, à Maysan et à tout ses camarades de classe. Elle pensa à sa mère, et lorsqu'elle la regarda, elle eut l'impression de voir ses yeux remplis de larmes. Elle aurait voulu la consoler mais elle manquait elle-même d'assurance. Et si les choses tournaient mal ? Et si elle ne retrouvait finalement pas son père ? Il était vrai qu'il y avait peu de chance pour qu'elle le retrouve... Mais en même temps elle se disait que Guillaume n'aurait rien tenté s'il avait pensé qu'il n'y avait plus d'espoir, il n'aurait pas mis en jeu un secret aussi important que l'existence d'un autre monde si leurs chances étaient infimes. Et surtout il n'aurait pas envoyé son propre fils le faire. A moins que ce soit le même genre de souverain que chez le peuple grec pour qui l'honneur était plus important que la vie. Ce n'était pas à espérer. Peut-être était-ce lâche, mais mourir pour rien n'était pas dans ses ambitions. Lylia en était à là dans ses pensées lorsque sa mère pris la parole.
-
Quel âge as-tu Bastien ?
-
160 ans... Enfin 16 ans, pour vous.
-
Ne le prend pas mal mais... Comment se fait-il que tu sois si sérieux ? Tu es en pleine adolescence tu devrais t'amuser comme tous les jeunes de ton âge... dit-elle rêveuse.
-
Il y a des cas où l'on ne peut tout simplement pas laisser l'insouciance nous guider.
On pouvait distinguer dans sa voix une sorte de reproche, de regret, d'amertume mais aussi, et c'était cela qui marqua le plus Lylia, de résignation. Il acceptait le rôle qu'on lui demandait de jouer. Mais quel était ce rôle ? Et que lui demandait-il tant de responsabilités et de maturité ? Elle regarda Tony, qui lui paraissait mature lui aussi, puis Bastien. La différence était indéniable. Bastien avait le regard rivé sur la route, le visage fermé, concentré. Tandis que celui de Tony était ouvert, pensif lui aussi... Il regardait son « frère » et son regard était compatissant, il souffrait pour lui et avec lui. Mais on sentait aussi quelque chose comme de la culpabilité. C'est là que Lylia se dit que le rôle qu'avait à jouer Bastien, quel qu'il soit, ne devait pas être des plus faciles, et elle s'inquiéta alors pour lui, sans rien savoir de sa douleur. Cette famille était décidément pleine de secrets. Quelle famille royale ne l'est pas ?
Elle regarda par la fenêtre. Il faisait nuit maintenant et il pleuvait. Elle regardait le paysage défilé sous ses yeux, qui se fatiguèrent et se fermèrent. Elle s'endormit rapidement dans le bruit réconfortant des petites gouttes de pluie frappant la vitre de plus en plus en fort. Elle dormait d'un sommeil léger et entendait les discussions qui avaient lieu dans la voiture. Sa mère proposa de remplacer Bastien au volant pour qu'il se repose, mais il refusa. Tony restait silencieux. Puis ils parlèrent du temps, de la route qui était sûrement belle. Lorsqu'ils évoquèrent le nom de Lylia elle se fit plus attentive. Sa mère était inquiète, très inquiète. Lorsqu'elle demanda aux deux garçons qui avaient l'air tellement plus résistants de veiller sur elle, Tony prit la parole pour la première fois.
-
Ne vous inquiétez pas Monny, vous n'êtes pas la seule à avoir peur pour elle.
-
Alors pourquoi l'emmenez-vous ?
-
Je pense qu'elle peut très bien s'en sortir, moi, mais c'est mon père qui est inquiet. Pour lui, même s'il ne l'a jamais vue, elle est comme sa nièce. Et il ne pourrait pas supporter d'avoir perdue la fille de Frédéric. Ils ne se le pardonnerait jamais. Mais il n'a pas le choix. Moi je pense sincèrement que tout se passera bien. Elle a l'âme d'une battante. Elle ne baissera pas les bras et elle est déterminée. Elle ne se laissera jamais abattre et même si vous lui interdisiez de nous aider, elle se débrouillerait pour venir quand même...
-
Peut-être, Tony... Mais c'est justement cela qui m'inquiète chez elle. Même face au danger elle ne renoncera jamais, au risque de se retrouver par la suite dans les situations les plus dangereuses.
-
Ayez confiance en votre fille, Monny, tout se passera bien, et nous serons là pour la protéger, dit Bastien à son tour.
Soulagée de savoir que Tony et Bastien avaient foi en elle, Lylia s'endormit d'un sommeil lourd. Lorsqu'elle se réveilla, elle n'ouvrit pas les yeux tout de suite. Elle avait l'impression que tout ce qui c'était passé la veille était un rêve. Elle s'imaginait dans sa chambre, tranquillement installée. Elle s'étira et ouvrit les yeux. Elle eut la grande surprise d'être en effet installée tranquillement sur un lit, mais qui n'était pas le sien. A côté d'elle, elle entendait des gens parler. C'était Monny, Tony et Bastien qui prenaient leur petit déjeuner. Elle regarda autour d'elle. C'était une chambre d'hôtel coquette, munie de quatre lits, de quelques tableaux et d'une table. Ce n'avait donc pas été un rêve. Elle n'en était pas mécontente.
-
Ah ça y est tu es réveillée Lylia ! S'exclama Tony. Nous avons commandé un petit déjeuner pour toi, il ne devrait pas tarder... Viens t'installer !
-
Bonjour ma puce, dit Monny qui n'avait apparemment pas beaucoup dormi.
-
Salut tout le monde, répondit Lylia.
-
Bon, alors maintenant que nous sommes tous là, nous allons pouvoir ...
On toqua à la porte avant que Bastien puisse terminer sa phrase.
-
Oui entrez, répondit Tony.
Le petit déjeuner de Lylia arriva, copieux, et elle se rendit alors compte qu'elle avait effectivement très faim. Elle se mit alors à manger en écoutant d'une oreille peu attentive la manière dont ils allaient procéder. A quoi bon de toutes façons ? Elle savait très bien que sur la route Bastien leur répèterait la démarche à suivre, et encore une fois devant la porte. Non, Lylia pensait à autre chose. Cet hôtel lui rappelait des souvenirs enfouit très loin dans sa mémoire. Elle attendit que Bastien se taise pour demander à sa mère :
-
Maman, cet hôtel me dit quelque chose... Ne serions-nous pas déjà venue ici ?
-
Tu t'en souviens ! Tu n'avais que un an ! Nous avions accompagné ton père pour son retour...
-
Cela devrait d'ailleurs faciliter les choses, ajouta Tony.
-
Oui c'est vrai tu as raison. Je me demande même si... Lylia étant considérée comme citoyenne dans notre monde aussi...
-
C'est vrai ? S'exclama Lylia.
-
Oui d'ailleurs tout le monde, ou plutôt tout ceux qui n'ont pas encore fait le grand voyage, ont hâte de te voir.
-
Pourquoi ?
-
Ils se demandent à quoi ressemble un habitant de ton monde. Pour eux vous êtes comme des extra-terrestres ! Pouffa Tony.
-
Tout le monde est au courant de mon arrivée ?
-
Ton père était très apprécié et tout le monde l'a beaucoup accompagné dans sa douleur, lui répondit Bastien. Bon allez, il est temps d'y aller.
Le temps qu'il paye l'hôtel, Lylia rangea ses affaires et descendit. Ils prirent la voiture et se dirigèrent vers le centre ville, ce qui étonna Lylia qui pensait qu'ils iraient plutôt dans un endroit isolé. Comme s'il avait lu dans ses pensées (peut-être était-ce d'ailleurs le cas) Tony dit :
-
Je sais que ça paraît étonnant mais la borne se trouve sous l'hôtel de ville !
-
Oui, étonnant... Personne ne nous voit ?
-
Il y a peu de personnes qui se baladent sous l'hôtel de ville...
-
Et comment cela se présente-t'il ?
-
La borne ? Elle est invisible mais nous avons fait en sorte qu'elle ne puisse être découverte par des habitants de ton monde...
-
Et comment avez-vous fait ?
-
Nous avons nos techniques...
Comprenant qu'il ne servait à rien de s'étendre sur le sujet, Lylia se tut et commença à imaginer une espèce de porte inter-sidérale à travers laquelle elle pourrait apercevoir des étoiles et des planètes... Riant de cette pensée farfelue et se disant que l'apparence de la borne devait être on ne peut plus banale pour ne pas attirer l'attention, Lylia se demanda à quoi ressemblait l'autre monde... Puis elle voulut dormir, mais à peine avait-elle fermé les yeux qu'elle entendit Bastien dire « On est arrivé ! ». Elle ressentit alors quelque chose d'étrange... Elle avait peur. Peur de l'inconnu, peur de ce qui l'attendait. Elle descendit de la voiture, mais ses jambes fléchirent. Elle était fatiguée, exténuée... Terrifiée. Mais en même temps cette aventure l'excitait. Et puis c'était trop tard... Alors elle prit son sac et suivit sa mère d'un pas décidé.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 33 autres membres